Mars/Avril

Samedi 5 mars, depuis le Red Lions
Les subtilités administratives abordées par le procès Papon laisse l’amertume de l’acte de courage manqué. La défense de l’ancien secrétaire général de la Gironde joue sur la résistance en filigrane, le sabotage clandestin, l’accomplissement des possibles ruptures dans le contexte historique d’une autorité administrative fantoche, aux arcanes d’autant plus développées que l’illusoire s’impose. Une préfecture déliquescente à la parure de baudruche agissante.

Mercredi 9 mars, 22h30
Quelques réactions à la découverte de mon site Indignation, la plupart positives. La seule critique (d’une accointance lyonnaise, Laurence) souligne le « manque de vie » d’une écriture trop axée sur « l’intellectualisation des concepts », expression qui tutoie le pléonasme ! La réaction enflammée face à une actualité qui ne m’atteint pas directement ne peut que se parer d’un raisonnement violent, certes, mais un peu détaché.

La diffusion du procès Papon approche de son terme : nous en sommes aux plaidoiries des avocats des parties civiles. A chacun son angle d’attaque du haut fonctionnaire de Vichy. Prestations brillantes, mais dont on ne peut occulter la démarche interprétative et l’inéluctable partialité. L’opposition frontale des témoins qui se sont succédés, contre ou en faveur de Papon, interdit toute simplification du sujet.
Demain la grève bazar du privé et du public ne va pas redorer le climat.

Mercredi 16 mars, 22h
Sortir la réalité prégnante d’une situation dramatique surpasse l’efficacité du plus brillant discours.
En diffusant aux aspirants SPP (sapeurs-pompiers professionnels) le documentaire des frères Naudet suivant le parcours d’un bleu au sein d’une caserne de New York, j’ai touché leurs fibres sensibles.Au matin du 11 septembre 2001, l’un des frères accompagne quelques pompiers en intervention pour une fuite de gaz, à quelques rues du World Trade Center. Le bruit, inhabituel dans le ciel de la ville, d’un moteur aérien à basse altitude, fait faire un quart de tour à la caméra qui sera la seule à filmer le premier acte du sanglant hyperterrorisme d’Al Qaïda. Malheureusement, aucun reporter ne se trouvait aux abords du Pentagone lorsqu’un autre avion de ligne l’a pris pour cible : cela a permis l’écho donné aux nauséeuses thèses d’un français, escroc intellectuel surfant sur la vague de l’antiaméricanisme primaire.
Suite à cette attaque, insoupçonnable par le lambda, se met en branle toute la machine des secours, au premier rang desquels les pompiers qui paieront de quelques centaines de vies leur abnégation (presque naïve) à sauver des personnes dans les étages des tours visées. Leur entrée dans le hall de la première touchée (la seconde à s’écrouler), l’organisation improvisée de cette montée interminable dans le ventre du monstre de béton, le bruit terrible des corps qui s’écrasent au sol, travailleurs des tours situés au-dessus de l’impact des avions, voués à une mort certaine et qui se jettent dans le vide pour une fuite impossible, la dévotion de tous ces hommes du feu visiblement dépassés par le cataclysme en cours : tout cela touche, fascine et horrifie nos candidats SPP.

Samedi 2 avril
La charge des anti-traité constitutionnel européen a trouvé son paroxysme aberrant dans la dernière intervention du patibulaire Emmanuelli. Venu bretter avec le rhétoricien affûté Sarkozy, il s’est essayé à tous les amalgames qui fleurissent en pots pourris dans le camp hétéroclite du Non. Sa plus inepte trouvaille : déceler dans le droit à la vie, rappelé par le texte, une volonté pernicieuse de s’en prendre au droit à l’avortement, à l’IVG et à tout ce qui a construit la modernité de notre civilisation. Rien de moins ! Tout est bon, même la pire des salauderies intellectuelles, pour servir la clique opportuniste. Le lot des cocos, des révolutionnaires de l’extrême gauche, des populistes de l’extrême droite, des souverainistes d’arrière garde, des pontes socialo en quête d’un tremplin pour leur carrière politique, tout ce mic-mac en orbite du Non salvateur, veulent entraîner, par un ratissage extra large, tous les mécontents de la politique chiraquienne.
Moyen facile : le chiffon rouge de l’amalgame. La Turquie menace d’entrer ? Elle s’imposera grâce au traité ! La directive Bolkestein choque ? Elle reviendra poussée par la tonalité libérale de la constitution ! Tout ce qui se fait de contestable sous l’empire du Traité de Nice, c’est la faute au nouveau Traité de Rome ! Et la mixture passe au regard des sondages. Les manipulateurs sont bien sûr les défenseurs du projet. Une constitution fixe un cadre, elle ne contient pas la politique qui s’inscrira dans ces règles. Comment une alternance politique aurait-elle pu être possible sous la Ve sinon ? Les fadaises abusives captent la grogne des insatisfaits, mais comment s’accorderont-ils sur un nouveau projet et comment convaincront-ils les vingt-quatre autres membres ?

Dimanche 3 avril
Les pourfendeurs du Traité constitutionnel n’osent pas s’en tenir à la descente en règle du texte. Le parcourant, ils ne peuvent rencontrer que des progrès, si minimes soient-ils, par rapport au Traité de Nice en vigueur. Le seul fait d’insuffler une valeur constitutionnelle à la Charte des droits fondamentaux devrait suffire à déclencher l’adhésion enthousiaste. La simple lecture des titres de cette Charte rendrait jaloux quatre vingts pour cent des populations de la planète, ceux pour qui la survie occulte tout autre droit.

Lundi 11 avril, 22h05
Pas encore pour ce siècle la maturité : aucune baisse des violences, aucune atténuation des croyances. L’enterrement du Pape, sa couverture médiatique et la dévotion irraisonnée de foules immenses marquent la constante caverneuse d’une humanité écartelée entre ses superficialités ludiques et ses arriérations dévotes.
Certes Jean-Paul II, déjà surnommé le Grand et canonisé par le bon peuple, a marqué, par son infatigable message colporté dans cent trente nations, le cours historique des trois dernières décennies ; mais l’élan humaniste du grand voyageur se charge de l’encombrante religiosité, des rigidités canoniques sermonnées en toute occasion, des certitudes archaïques qui ne tolèrent aucun écart. Voilà l’autorité spirituelle vénérée qui a versé dans cette manipulation originelle.
La clairvoyance pour d’autres cieux, en d’autres temps. Amen !

Mardi 12 avril, 8h15
La clique hétéroclite du "Non"
Que veulent les Fabius, Le Pen, Besancenot, de Villiers and Co ? Certainement pas le rayonnement d’une France à la pointe de la construction européenne. Au projet d’inspiration française qui a survécu aux compromis à quinze, à ce traité constitutionnel sans équivalent dans le monde dans ce qu’il consacre comme droits pour les citoyens, les révisionnistes constitutionnels voudraient (du moins ils le laissent croire) y substituer un autre traité qui ne répondrait qu’à leurs fantasmes idéologiques et qui sortirait miraculeusement du chapeau à vingt-cinq ! Ne nous leurrons pas. En cas de non français il ne faudra plus compter avoir un compatriote à la tête d’une très future, voire hypothétique convention en charge de rédiger un texte en phase avec les attentes hétéroclites de cette clique du « Non ». Un rejet du traité constitutionnel le 29 mai prochain équivaudrait à une démolition pure et simple sans aucune préfiguration bénéfique de l’avenir. L’occasion sera trop belle pour vingt pays membres ayant choisi la voie parlementaire pour la ratification, de détrôner la France de sa fragile place de leader dans la construction européenne et de stigmatiser sa frilosité absurde. Même si nous étions les premiers d’une série de « Non », nous porterions la responsabilité d’avoir attisé les scepticismes, les nationalismes et les chauvinismes de tous poils, et rien ne permettrait avant longtemps de trouver un nouvel accord. Chaque pays, échaudé par ce projet avorté par la nation même qui en est à l’origine, se recroquevillerait sur ses propres intérêts, lesquels n’ont pas grand chose à voir, à l’état brut, avec les desiderata des Fabius-Le Pen and Co qui rassemblent autour du « Non » une impossible ambition commune. C’est donc bien un « Non » à l’avancée européenne et l’embrassement du néant politique.
La malignité démagogique s’est révélée dès l’instant que cette clique a mis sur le dos d’un cadre constitutionnel proposé ce qui relève de la politique menée sous le règne du traité de Nice qui restera bien ancré en cas de victoire des grincheux.
L’entrée automatique de la Turquie ? Mensonge : l’article 58 définit la procédure à suivre pour toute nouvelle adhésion et renvoie aux règles constitutionnelles de chaque Etat membre pour la ratification de celle-ci. Notre récente révision a consacré la voie référendaire pour cette question sensible. A moins d’une abrogation de cette avancée démocratique, la Turquie ne pourra pas entrer dans l’Union sans que le peuple français donne sa bénédiction ! Alors, responsable de quoi le texte de Valéry Giscard d’Estaing ? De la directive Bolkenstein, diabolisée par de Villiers et son piètre dictionnaire des rimes pour mauvais poète balbutiant ? Pas seul le souverainiste bien sûr : les Mélenchon, Buffet, Maigret and Co viennent en renfort pour les arguties et les amalgames. Ce qu’on fait dire à la directive sur la libéralisation (quelle terrorisante perspective !) des services ? Aucun rapport avec le nouveau cadre proposé. L’article 133 fixe le principe pour les travailleurs européens : le bénéfice du système législatif, réglementaire et administratif (le droit du travail plein et entier, donc) du pays membre dans lequel il se trouve. Les services se font avec quoi ? Des travailleurs et non l’œuvre du Saint-Esprit !
Certes on peut interpréter de mauvaise foi des principes généreux et protecteurs. Le négationniste institutionnel Emmanuelli, pas le fondateur du Samu social mais le dangereux démagogue patibulaire, a même décelé dans l’article 62 et son « droit à la vie », qui côtoie l’impossibilité pour un Etat membre d’appliquer la peine de mort, la remise en cause de l’avortement pour les femmes ! Rien que ça !
Le mérite de ce délire interprétatif est de faire tomber les masques de ces irresponsables prêts aux pires truquages pour servir leur malodorante carrière. Prêts à tout détruire, y compris l’avancée européenne. Alors, sans doute, le pourfendeur Emmanuelli va-t-il faire trembler les chaumières en imaginant une Union libératrice des pédophiles et des tueurs en série parce que la Constitution proposée consacre dans son article 66 le « droit à la liberté » ! Puis, dans une dénonciation des voies ouvertes à tous les démons, le bougre va sans doute percevoir la promotion cachée du négationisme à la sauce Faurisson dans l’article 71 qui rappelle le droit à la liberté d’expression « sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières ». Bravo saint Emmanuelli de nous ouvrir les yeux sur ce torchon constitutionnel !
A nous de prendre la mesure du cirque des illusions mises en scène par les animateurs du « Non », lesquels se tireront sans pitié dans les pattes sitôt le scrutin du 29 mai passé, incapables de rédiger un texte remplaçant celui qu’ils auront piétiné et impuissant sur la scène européenne face aux autres Etats membres effarés par tant d’opportunisme. A nous de faire l’effort de plonger dans le projet proposé pour en comprendre la substantifique (et bénéfique) moelle sans relais manipulateur. A nous de démontrer notre maturité démocratique et non de prendre en otage de nos innombrables mécontentements une consultation à visée constructive. A nous de ne pas donner l’exemple d’un repliement stérile qui occasionnerait le délitement du projet européen et réduirait d’autant notre place dans le concert des nations. L’Europe nous regarde et ne nous pardonnera pas cette volte-face mesquine. Le reste du monde raillera notre versatilité de petite envergure.

Samedi 23 avril
Le lion rouge visité, j’y retrouve Elvis par hasard, en compagnie de quelques accointances. Dans les osselets vibrants, la reprise de Don’t Worry… de Wonder par le rythmique John Legend. Découvert dans quelques images du créatif Hitch, j'ai été pris par l’irrépressible penchant à me procurer cet envoûtement musical. Les décrochés sinueux de l’air doivent correspondre aux instincts de l’instant.
Programme très moyen au lion défraîchi : voix mal assurée, airs sans envolée, tempo sans conviction… Les résonances du Legend d’Hitch m’arrachent à ces blafardes prestations.
Les aberrations du raisonnement : du croulant Le Pen à la faiblarde Buffet, en passant par les autres incongrus qui tentent de faire basculer l’Europe. Les inconciliables oeuvrent de fait en commun en feignant de croire leur clocher majoritaire. Tous les démons, ils s’en aspergent pour rallier les innombrables mécontents. Silence sur l’effective impuissance de la France au sein d’une Union atomisée.
Sur la piste, un phénomène d’allumeuse, dégénérée par l’alcool, qui m’a collé dès mon pied posé sur la piste et que j’ai gentiment, mais fermement, congédié. Bien m’en a pris à l’observation des collages successifs qui se font vers les mâles en manque. Pitoyable donzelle qui rétracterait le plus déterminé des ruts.
Patrick Rotman vient encore de signer un documentaire d’exception sur un pan de la sombre histoire. Après la lutte délétère en Algérie, entre torture et terreur partagées, mise en images dans L’Ennemi intime, après le rappel d’une Libération en souffrances de l’hexagone, il délivre son talent dans Les Survivants, fresque lugubre des méfaits de la Solution finale. Témoignages choisis pour une émotion percutante, images d’archives mises en son pour visualiser l’innommable. La signature Rotman tient dans la puissance de l’exactitude qui dispense de toute polémique les esprits ronchons. Ces semblants de vie passée, aux membres décharnés, à la tête ballotante, aux expressions d’horreur putréfiée. A voir pousser par une mécanique sans âme ces monceaux blanchâtres, cela pétrifie. Ce déferlement de l’inconcevable nous remet en pleine face le hideux potentiel de l’humanité.

Jeudi 28 avril
Une semaine de vacances qui commence sous le soleil dardant au parc de la Tête d’Or, côté roseraie. Je goûte à ce farniente pour laisser venir les quelques petites indignations du moment.


L'impasse des lamentables "Non"
Vu, réunis sur France 3, les principaux leaders politiques ancrés sur le « Non ». Confirmation de l’impossible fonctionnement, au lendemain du 29 mai, en cas de victoire de la tranchée des frileux.
Chacun voudrait se croire dépositaire de la majorité mécontente pour une obscure refondation sous l’égide du Traité de Nice, et ce à vingt-sept pays membres (dès 2007). A ce stade, ce n’est plus de l’utopie, mais de la dangereuse naïveté, ou plus certainement de l’opportunisme à courte vue.
Ce qui forme la différence fondamentale entre les deux camps tient dans la viabilité de l’après référendum : d’un côté, un accord commun pour adopter le cadre institutionnel proposé, quitte à ce que le contenu des politiques menées dans ce cadre diffère selon les obédiences politiques ; de l’autre, un consensus pour rejeter le traité, mais des désaccords irréductibles quant au contenu d’un projet ultérieur. Aucun d’eux n’étant, à l’unité, majoritaire chez les électeurs prêts à voter Non, comment pourront-ils défendre quelque proposition de nouveau traité aussi ambitieux ?
Remarquons d’ailleurs que tous ces grincheux ne constituent qu’un sac à critiques, et qu’aucun n’a présenté un texte cohérent qui serait le socle de cette irréaliste refondation. En outre, comment les dissonances à l’intérieur d’un « Non » aux couleurs criardes seront-elles perçues par les autres pays membres ? Certainement pas comme un modèle sérieux à suivre.
La victoire du « Non », si elle devait avoir lieu, laisserait très vite place à un terrible désenchantement des votants sitôt la conscience acquise des impuissances intérieures.
Chacun cultive sa chapelle argumentative contre le texte proposé en feignant de ne pas entendre les raisons du voisin infréquentable, lequel contribue pourtant à grossir la troupe des contempteurs disparates. Stratégie politique du néant de cette flopée d’autruches ensablées par leur rengaine idéologique respective. Tristes pitres inconséquents !

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